Les centres de contrôle des contributions de la zone frontalière avec la France examinent depuis plusieurs années la situation fiscale de travailleurs frontaliers français actifs en Belgique. De plus en plus nombreux sont les frontaliers qui ont déjà été contactés par l’administration fiscale belge. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore été, il y a fort à parier que leur employeur, l’administration fiscale française ou d’autres intervenants l’aient été et que, dans les mois qui viennent, ils reçoivent une demande de renseignements voire une notification d’imposition d’office.
L’élément clé sur lequel se focalisent les efforts des inspecteurs fiscaux belges est la démonstration que le travailleur frontalier français dispose de son domicile fiscal en Belgique, ou plus précisément d’un « foyer d’habitation permanent ». Si l’administration fiscale belge parvient à démontrer que ce foyer fiscal est situé en Belgique ou en dehors de la zone frontalière française, elle assujettira le travailleur frontalier à l’impôt belge des personnes physiques ou à l’impôt des non-résidents, notoirement moins favorables que leur équivalent français. Le travailleur s’expose en outre à un risque de voir sa situation fiscale réexaminée jusqu’à trois ans en arrière, voire jusqu’à sept ans en cas de fraude avérée.
Comment se préparer au mieux pour parer à ce risque et, le cas échéant, y réagir adéquatement ? Quel est l’impact des mesures anti-propagation du coronavirus sur ces risques?
(Mise à jour suite aux mesures anti-CoVid)
Le foyer d’habitation permanent au cœur du débat
La notion centrale qui fera l’objet de la discussion avec l’administration fiscale sera le « foyer d’habitation permanent ».
Définition légale – Le Protocole additionnel relatif aux travailleurs frontaliers du 2 décembre 2008 précise que « les traitements, salaires et autres rémunérations analogues reçues par un résident [français] qui exerce son activité dans la zone frontalière de [Belgique] et qui n’a un foyer permanent d’habitation que dans la zone frontalière [française] ne sont imposables qu’en [France]. »
En vue de faciliter la détermination de ce foyer d’habitation, la loi portant assentiment et exécution de ce protocole[1] énonce en son article 3 une série de critères permettant de le localiser. Les critères retenus sont les suivants :
• le lieu d’habitation normal du travailleur ;
• le lieu où il vit avec son conjoint ;
• la disponibilité de ce lieu de manière continue et en tout temps ;
• l’aménagement du lieu qui doit rendre son occupation possible dans des conditions de confort adéquates.
Un critère s’ajoute aux précédents pour les travailleurs frontaliers mariés ou cohabitant légaux. Il s’agit du lieu où est établi le ménage ou, en d’autres termes là où le conjoint ou le cohabitant légal séjourne habituellement avec les enfants du ménage. Ce critère constitue une présomption qu’il est possible d’infirmer en apportant la preuve contraire.
Définition de l’OCDE – Le commentaire des conventions fiscales fondées sur le modèle de l’OCDE précise que la notion de foyer d’habitation permanent recouvre « toute forme d’habitation […] (maison ou appartement qui est la propriété de l’intéressé ou pris en location, chambre meublée louée). Mais la permanence de l’habitation est essentielle, ce qui signifie que l’intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d’une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour qui, compte tenu des raisons qui le motivaient, est nécessairement lié à une courte durée (voyage d’agrément, voyage d’affaires, voyage d’études, stage dans une école, etc.). »[2]
Ces définitions assez larges sont essentiellement factuelles et par conséquent sujettes à interprétation.
Démarche de l’administration
Approche – Conformément à la théorie des éléments générateurs de l’impôt, c’est à l‘administration qu’il revient de démontrer qu’un travailleur frontalier français a son foyer d’habitation permanent en Belgique, si du moins elle entend l’assujettir à l’impôt belge des personnes physiques.
Moyens – Pour ce faire, elle devra se livrer à une évaluation factuelle de la situation et collecter des éléments auprès de tiers, de l’administration fiscale française et auprès du contribuable lui-même qui lui permettront de démontrer que ce foyer est bien situé en Belgique.
Approche jurisprudentielle
Jurisprudence favorable au travailleur frontalier – Il a été jugé[3] qu’en se bornant à montrer qu’un travailleur frontalier français louait un immeuble en Belgique et qu’il y avait pris à son nom des compteurs d’eau et d’électricité, l’administration n’apportait pas la preuve que ledit travailleur disposait d’un foyer d’habitation permanent en Belgique. En particulier, l’administration n’avait pas apporté la preuve de la présence effective et continue du travailleur frontalier dans cet immeuble. La mention de l’adresse belge du travailleur sur un seul document administratif tandis que son adresse française était mentionnée sur un ensemble d’autres documents n’a pas été suffisante pour emporter la conviction du tribunal que le foyer d’habitation permanent du travailleur était situé en Belgique.
Jurisprudence favorable à l’administration – Dans un cas où il existait un foyer d’habitation tant en France qu’en Belgique, la Cour d’appel de Mons a jugé[4] qu’il convenait alors d’examiner où était situé le centre des intérêts vitaux du travailleur. Selon la Cour, le fait de louer un petit appartement en France, d’y avoir immatriculé et assuré son véhicule, d’y avoir souscrit une assurance mutuelle et d’y disposer d’un compte bancaire n’étaient pas suffisants pour démontrer que le centre de ses intérêts vitaux y était situé. Il convient de préciser que dans cette affaire, le dossier du travailleur était particulièrement défavorable. L’intéressé avait en effet déclaré avoir quitté un immeuble acquis avec son épouse (pour lequel il continuait à payer des charges) dont il s’était déclaré séparé. Par ailleurs, les factures des fournisseurs d’énergie et d’eau étaient acquittées depuis le compte commun du couple, même après sa séparation. Les consommations d’eau et d’électricité de l’appartement français étaient par ailleurs bien trop minimes pour démontrer une occupation journalière du lieu. Enfin, le courrier adressé au travailleur l’était à l’(ancienne) adresse belge, sans réacheminement vers son adresse française.
La Chambre fiscale du Tribunal de première instance d’Arlon a par ailleurs confirmé que la preuve d’un foyer d’habitation permanent dans un pays « ne sera généralement acquise que par le recours à un faisceau de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes. » Parmi celles-ci, le Tribunal souligne l’importance des « éléments objectifs » que sont les « consommations d’eau et d’électricité côté belge et l’absence d’éléments qui attesteraient d’une vie quotidienne en France. » Le Tribunal précise que, même si les requérants avaient eu un « foyer permanent d’habitation en France, […], il faudrait encore relever que c’est en Belgique que se trouv[ait] leur famille […] et que le demandeur travaille, de sorte que c’est avec cet État que leurs liens personnels et économiques sont les plus étroits. »
Concrètement, comment se préparer et réagir au mieux ?
Examen périodique – Il est essentiel, même en dehors de tout contrôle notifié au contribuable, que les travailleurs frontaliers français actifs en Belgique examinent périodiquement si leur situation (familiale et matérielle) correspond factuellement bel et bien à un foyer d’habitation permanent en France. Nous pouvons leur apporter notre assistance dans cet exercice.
Éléments de preuve – Ces travailleurs doivent veiller à se ménager des éléments de preuve qui, en cas de contrôle fiscal ou d’avis de rectification, leur permettront de démontrer que leur foyer d’habitation est bien situé dans la zone frontalière française. Ces pièces seront des alliées de poids pour étayer une réclamation ultérieure devant le directeur régional ou pour servir d’éléments de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Les mesures anti-propagation du coronavirus et preuve du foyer permanent d’habitation
La Belgique et la France ont, dans le cadre de leur gestion de la pandémie de CoViD-19, établi des restrictions à la libre circulation transfrontalière des personnes, des règles contraignantes invitant les employeurs à faire prester leurs employés en télétravail lorsque cela était possible, voire à les mettre en chômage temporaire dans une série d’hypothèses, ainsi que des couvre-feux.
Pour nombre de travailleurs frontaliers, cela s’est traduit par une obligation de produire des attestations permettant de traverser la frontière et/ou plus simplement de demeurer à leur domicile tant en journée qu’en soirée.
Plusieurs accords conclus entre les autorités fiscales belges et françaises ont neutralisé – jusqu’au 30 juin 2021 à l’heure d’écrire ces lignes – l’impact de cette obligation de télétravailler en raison des mesure visant à contrer la pandémie sur la comptabilisation des jours de sortie de zone sans perte du statut fiscal spécial.
Ces mesures anti-CoViD constituent un outils précieux que ne manqueront pas d’utiliser administration fiscale et contribuable. En effet, l’administration fiscale contrôlant la réalité du foyer permanent d’habitation français aura beau jeu d’exiger du contribuable qu’il démontre sa présence à son domicile français certains jours et/ou à certaines heures, le travailleur étant sensé y être présent soit parce qu’il était réputé être en télétravail, soit parce qu’il ne pouvait plus sortir de chez lui en raison des couvre-feux. Elle en tirera que le contribuable doit avoir subi des hausses de consommation d’électricité et de chauffage, avoir augmenté ses livraisons à domicile, avoir accru sa consommation de données Internet et téléphonie localisées à l’adresse de son foyer français. Le contribuable quant à lui pourra se prévaloir des attestations de son employeur, voire des auto-certifications françaises subordonnant les déplacements qu’il aura pris le soin de conserver. Il ne manquera pas de mettre de côté les éventuelles amendes infligées (en France, à proximité immédiate de son domicile) pour non-port du masque ou défaut d’attestation par exemples, qui si elles ne sont jamais une agréable nouvelle, permettront de démontrer sans conteste possible sa présence en zone frontalière française.
En matière de statut fiscal de travailleur frontalier, il convient d’abord et avant tout de prévenir les litiges, mais aussi de réagir au plus tôt dans la procédure avec une maitrise suffisante du sujet pour éviter de commettre des erreurs évitables.
Nous conseillons à nos clients et plus largement aux travailleurs frontaliers qui seraient avisés d’un contrôle les concernant d’éviter autant que possible tout contact direct avec l’administration fiscale avant d’avoir fait le point avec un spécialiste quant à la régularité de leur situation fiscale.
Prendre rendez-vous dès maintenant
[1] Loi du 7 mai 2009 portant assentiment à et exécution de l’Avenant, signé à Bruxelles le 12 décembre 2008, à la Convention entre la Belgique et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur les revenus, signée à Bruxelles le 10 mars 1964 et modifiée par les Avenants du 15 février 1971 et du 8 février 1999, M.B. 08.01.2009.
[2] Commentaire OCDE 2008, commentaire de l’art. 4., p. 85
[3] Civ. Mons, 21 décembre 2010, R.G. 09/2310/A, inédit, cité par N. Honhon, « La notion de domicile fiscal au regard d’une jurisprudence récente », R.G.F. , 2012/5, p. 20.
[4] Mons, 5 décembre 2012, http://ccff02.minfin.fgov.be/KMWeb/document.do?method=view&id=5a80189c-ca52-4d88-82fc-180caf00881e&caller=1#findHighlighted .
© Sylvain Lemaire – Sous réserve des exceptions légales, toute reproduction sans l’accord préalable et explicite de l’auteur est prohibée.
ShareMAI