Après avoir consacré plusieurs articles au régime fiscal des travailleurs frontaliers français (article général, article relatif aux demande de renseignements), penchons-nous sur une autre catégorie de contribuables bénéficiant d’un régime fiscal favorable et dérogatoire au droit commun : certains cadres étrangers « expatriés » en Belgique.
Ils ont la « chance », à l’instar des travailleurs frontaliers, d’être dans le collimateur de l’administration fiscale en tant que groupe-cible des contrôles fiscaux de l’année 2017. Cette vague de contrôles contrôle se poursuivent cette année également.
Cet article vise à décrire (aussi) sommairement (que possible) ce régime et comment l’administration fiscale s’y prend pour remettre en cause ce statut fiscal.
Comment prévenir et réagir faire à une investigation fiscale en cette matière? Rendez-vous directement en fin d’article (à partir du point 6).
I. Le régime fiscal spécial des cadres expatriés, en (relativement) bref
1. Introduction – Avant de nous attarder sur les problématiques spécifiques générant des litiges avec le fisc, détaillons les grandes caractéristiques du régime fiscal spécial.
2. Personnes visées – Ce régime n’est applicable qu’aux personnes (conditions cumulatives) :
- ne disposant pas de la nationalité belge (les binationaux sont dès lors également exclus) ;
- assumant temporairement:
- soit exclusivement des fonctions de dirigeant en Belgique pour l’un des motifs suivants :
- ils ont été détachés dans le pays par des entreprises étrangères pour y travailler temporairement, soit dans un ou plusieurs établissements de ces entreprises, soit dans une ou plusieurs sociétés placées sous le contrôle desdites entreprises;
- ils ont été détachés dans le pays par des entreprises étrangères faisant partie d’un groupe international, pour y travailler temporairement dans une ou plusieurs sociétés belges faisant partie dudit groupe ou dans un bureau de contrôle ou de coordination des entreprises fonctionnant au sein de ce groupe;
- ils ont été recrutés directement à l’étranger par une société belge, filiale d’une société étrangère ou par une entreprise belge faisant partie d’un groupe international, pour travailler temporairement dans la société ou l’entreprise belge elle-même ou dans un bureau de contrôle ou de coordination établi en Belgique par le groupe international ;
- Soit, l’une des fonctions suivantes :
- administrateurs étrangers qui exercent des fonctions réelles et permanentes dans les établissements ou les sociétés visés aux points précédents;
- le personnel spécialisé étranger desdits établissements ou sociétés, à savoir les personnes qui, sans faire partie du personnel de cadre, ont une spécialisation telle que leur recrutement en Belgique est très difficile, voire impossible;
- les chercheurs étrangers détachés de l’étranger ou recrutés directement à l’étranger pour exercer leur activité en Belgique dans des centres et laboratoires de recherche scientifique, belges ou étrangers.
- soit exclusivement des fonctions de dirigeant en Belgique pour l’un des motifs suivants :
3. Situation personnelle – Pour bénéficier du régime fiscal favorable, ces personnes doivent rencontrer de suffisamment de critères, de nature personnelle et professionnelle, parmi ceux listés ci-après et avoir apporté la preuve qu’ils n’ont pas fixé en Belgique leur domicile ou le siège de leur fortune.
3.1. Critères relatifs à la personne et au patrimoine du cadre « expatrié » :
- le séjour du conjoint ou des enfants à l’étranger ;
- la disposition d’une habitation à l’étranger ;
- le fait que les enfants suivent un enseignement à l’étranger ;
- la possession de biens immobiliers et/ou mobiliers à l’étranger ;
- l’existence d’un contrat d’assurance-vie à l’étranger ;
- l’existence d’un contrat d’assurance de groupe ou d’un plan d’épargne ou de pension à l’étranger ;
- la rédaction d’une « clause diplomatique » dans le contrat de bail conclu en Belgique ;
3.2. Critères relatifs à l’activité professionnelle du cadre « expatrié » :
- l’assujettissement continu à une législation sociale étrangère ;
- l’existence d’un contrat de travail à durée déterminée en Belgique ;
- l’engagement temporaire en Belgique en vue de la constitution ou de la restructuration d’une entreprise ;
- un possibilité, contractuelle et/ou du fait des liens existant avec l’entreprise étrangère, d’être contraint de transférer son activité au service de cette entreprise vers l’étranger ;
4. Procédure d’octroi du régime – Les cadres expatriés qui répondent à suffisamment de critères parmi ceux listés ci-avant ne bénéficient pas de plein droit du régime. Pour ce faire, ils doivent avoir sollicité, conjointement avec leur employeur, dans les six mois à dater du premier jour du mois qui suit celui au cours duquel ils sont arrivés en Belgique, le bénéfice du régime.
La demande doit être accompagnée d’un dossier constitué contenant tous les éléments (ainsi que la demande du cadre) qui doivent permettre à l’administration fiscale :
- de vérifier la qualité de non-habitant du royaume du cadre expatrié;
- d’examiner si toutes les autres conditions sont réunies pour bénéficier du régime spécial d’imposition;
- de déterminer la nature exacte des indemnités que l’employeur considère comme constituant le remboursement de dépenses qui lui sont propres;
- d’exercer un contrôle sur la réalité et le montant des remboursements, plus particulièrement en ce qui concerne les frais d’enseignement des enfants et la « tax equalisation ».
5. Conséquences de l’octroi du régime fiscal de cadre expatrié – Dès lors que l’administration fiscale s’est prononcée favorablement sur l’octroi du statut fiscal de cadre expatrié, ces derniers bénéficient des avantages suivants :
- le remboursement par leur employeur de frais propres à l’employeur substantiels non imposables (dans la limite du plafond décrit ci-dessous);
- l’allocation d’une partie de leur rémunération à leur activité à l’étranger (et en conséquence, leur exclusion de la base taxable à l’impôt sur les revenus en Belgique) .
5.1. Frais propres à l’employeur admissibles – Les cadres expatriés bénéficient de la « déduction » (ou, à plus proprement parler, de la non-imposabilité) de « frais propres à l’employeur » liés à leur détachement en Belgique. Ces frais sont de deux ordres : les frais uniques et les frais récurrents (fixés, le cas échéant, forfaitairement sur la base d’une « note technique » du SPF Finances):
- Frais uniques :
- Frais de déménagement en Belgique ;
- Frais d’aménagement d’une habitation en Belgique ;
- Perte liée à la vente précipitée d’actifs du patrimoine situé à l’étranger ;
- Frais récurrents :
- Frais de logement (différence positive entre le loyer payé en Belgique et celui qui l’aurait été à l’étranger) ;
- Coût de la vie (différence positive entre le coût de la vie en Belgique et à l’étranger) ;
- Frais d’enseignement (généralement les frais liés à l’admission et à la participation aux activités d’enseignement au sein d’écoles internationales) ;
- Frais de voyage couvrant :
- un voyage annuel du cadre expatrié et de sa famille vers leur pays d’origine ;
- tout voyage vers le pays d’origine lié à un décès ou à des circonstances spéciales telles que la maladie grave d’un parent proche ;
- les voyages des enfants qui étudient à l’étranger ;
- Les pertes locatives (immeuble détenu à l’étranger non loué ou loué à un loyer inférieur au prix du marché en raison du détachement précipité vers la Belgique) ;
- La différence de cours de change ;
- « L’égalisation fiscale » : il s’agit d’une indemnité attribuée par l’employeur au cadre expatrié en vue de compenser la différence positive entre l’impôt acquitté en Belgique sur ses rémunérations imposables et l’impôt qui aurait été acquitté à l’étranger sur ces mêmes revenus.
Les frais propres à l’employeur, à l’exception des frais uniques et des frais d’enseignement sont globalement plafonnés à 11.250,00 EUR. Par dérogation ce plafond est fixé à 29.750,00 EUR pour les bénéficiaires actifs dans des bureaux de contrôle et de coordination, de centres et laboratoires de recherche scientifique.
5.2. Exclusion des jours prestés à l’étranger – Les cadres expatriés bénéficient en outre du fait d’être imposés en Belgique en tant que non-résidents. Cela signifie pour eux :
- qu’ils ne sont imposables en Belgique que sur leurs revenus d’origine belge et non sur leurs revenus mondiaux ;
- que les revenus correspondant à des séjours à l’étranger ne sont pas imposables en Belgique ;
II. Contrôles fiscaux : Quels sont les angles d’attaque du fisc? Quels sont les risques encourus? Comment les prévenir? Comment réagir à une investigation fiscale?
6. Angles d’attaque – L’administration fiscale a annoncé, lors de la communication annuelle de ses priorités en termes de contrôle fiscaux pour l’année à venir, que les cadres expatriés seraient parmi les heureux bénéficiaires de son attention insistante et rigoureuse.
L’administration fiscale remet en cause le régime fiscal des cadres expatriés bénéficiant de ce régime principalement via quatre approches, éventuellement cumulables, :
- En contestant le caractère temporaire de l’activité exercée en Belgique ;
- En contestant l’existence de liens de rattachement suffisants avec l’étranger ;
- En rejetant certains frais propres à l’employeur ;
- En rejetant le calcul des jours passés à l’étranger.
7. Risques – Un redressement fiscal par le rejet total ou partiel des bénéfices découlant du régime fiscal des cadres expatriés peut aboutir :
- À un assujettissement à l’impôt des non résidents / personnes physiques de toutes les rémunérations imposables en Belgique, sans déduction des frais propres à l’employeur spécifique au régime des cadres expatriés ;
- À un assujettissement à l’impôt des personnes physiques, qui soumet à l’impôt l’ensemble des revenus mondiaux du cadre, avec, le cas échéant, des exonérations totales ou partielles des revenus de source étrangère ;
- À une augmentation des rémunérations imposables en Belgique à l’impôt des non-résidents par inclusion des frais propres à l’employeur rejetés ;
- À une augmentation des rémunérations imposables en Belgique à l’impôt des non-résidents par l’inclusion dans la base imposable en Belgique de rémunérations rattachées indument à un séjour à l’étranger ;
En l’absence d’intention frauduleuse ou de dessein de nuire, la remise en cause du statut de cadre expatrié peut remonter à trois années dans le passé et être assortie d’une amende de 10 à 20% de l’impôt complémentaire. Si une fraude est démontrée, un redressement sur sept années avec un accroissement de 50% à 200% de l’impôt dû est possible.
Pour l’employeur de cadres expatriés, le risque fiscal principal (imposition d’office, amende administrative et intérêts de retard) se situe au niveau de l’absence de retenue du précompte professionnel sur les rémunérations qualifiées à tort de rémunérations exonérées ou de frais propres à l’employeur.
8. Prévention – Le régime des cadres expatriés étant reconnu suite à l’étude d’un dossier de demande instruit par l’administration fiscale, le cadre expatrié et son employeur ont parfois tendance à considérer le statut obtenu comme un acquis.
Il convient toutefois qu’ils vérifient ou fassent auditer périodiquement leur situation / celle de leurs cadres expatriés afin de s’assurer que les conditions permettant de bénéficier de ce régime demeurent réunies. En particulier, le caractère temporaire du détachement est celui qui est le plus souvent perdu de vue par les cadres expatriés et leurs employeurs.
Le Cabinet d’avocat Lemaire vous conseille et vous assiste dans la réalisation de cet audit.
9. Réaction – Le bien-fondé de la remise en cause du statut de cadre expatrié par l’administration fiscale doit être analysé minutieusement.
L’assistance d’un avocat fiscaliste dès l’entame de l’investigation fiscale peut s’avérer précieuse d’autant qu’une complexité particulière réside dans le fait que l’illégalité partielle du régime de cadre expatrié est parfois invoquée par l’administration fiscale lorsqu’elle est mise en difficulté.
Notre cabinet d’avocat vous apportera l’assistance requise, que ce soit en vue d’une vérification du bien-fondé du statut appliqué ou en réaction à une procédure fiscale annoncée ou en cours. Nous vérifierons en outre le respect des règles de procédure fiscale, des principes de bonne administration (notamment le principe de confiance légitime), en vue d’une défense optimale de vos intérêts, que vous soyez cadre expatrié ou employeur.
Attention : les informations reprises dans le présent article ne sont pas constitutives d’un conseil individualisé. Nous ne pouvons aucunement être tenu responsables des conséquences de la mise en œuvre des conseils qu’il contient si celles-ci s’avéraient préjudiciables au lecteur qui ne nous aurait pas contacté au préalable et auquel nous n’aurions pas prodigué un conseil individualisé.
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